Jürgen EHRE
Toute la peinture de ce sieècle aura été agitée par le souci
de dépasser ses contraintes, de pervertir ses moyens. Du cubisme au surréalisme
se profile l’espèce de rage d’exprimer une réalité dans sa totalité :
physique ici, psychique là ; de crever l’écran de la toile.
Le découpage de l’objet préparant l’abstraction rigoureuse,
et l’expression d’uns vie intime, celle d’un lyrisme sans aucune contrainte, et
par voie de conséquence, la matériologie : une peinture ayant bientôt sa
finalité dans son objet.
Nul n’avait envisagé d’aller plus loin que la toile en usant
d’une fiction scientifique, comme le fait Jürgen EHRE. Sa méthode de
représentation est plutôt une investigation (imaginaire) au-delà du visible à
l’oeil nu. Il pratique une sorte de travail au zoom sur les détails
anatomiques, fixant dans un hiératisme et une solennité interne qui deviennent
inquiétantes, les structures internes d’un animal aux confins de la morphologie
humaine.
Dans cet effet de contraste violent qui se crée avec le noir
profond des ambiances radiographiques, et l’éclat du blanc des définitions
figuratives qui s’y inscrivent, l’investigation d’EHRE apparaît déjà moins innocente.
Et s’il emprunte à la science ses
pouvoirs, s’il mime sa rigeur, c’est pour mieux fixer au pilori de la toile la charge
d’angoisse qui justifiait ce choix.
La réalité se résume ici à ce monde fermé des laboratoires
où se poursuivent d’étranges expériences qui font du sujet ausculté un prisonnier.
Il est dissséqué jusque dans son intimité charnelle. Rien de se qui fait sa
nature ne peut échapper à l’observateur.
EHRE a parlé d’image amplifiée. Non qu’il porte celle-ci à
une plus grande dimension, mais, surtout à une plus forte intensité. Si le
champ d’investigation du peintre se réduit, ici, à l’écran de la radiographie,
il épouse en revanche la formidable opération des mutations qu’il enregistre
avec une espèce de froideur de laborantin.
Et le peintre nous fait témoin de ce passage d’un état à un
autre. D’où le choix privilégié- un temops- du singe devenant homme.
Prisonnier de ce carcan des cadres qui maintiennent dabs un
état de passivité le sujet observé (si bien nommé patient) on voit, cependant,
outre la diversité morphologique de ce dernier, les attitudes également
évoluer, et tout un théâtre s’organiser (s’improviser) dans l’écran d’une
cinématographgie fantastique.
Un être antropomophe gesticule derrièe une sorte de tribune.
Il est à la fois prédicateur et juge, parfois bouffon, acteur d’un psychodrame
où passeront tous les mouvements de la passion. Et c’est cela qui a changé dans
la peinture d’EHRE. Elle fut d’abord statique, de strict observation ; avant de se gonfler de
l’intérieur, comme portée par quelque souffle extraordinaire qui anime cet
au-delà des miroirs de notre réalité.
Jean-Jacques Lévêque
Paris 1978 Galerie Lefor-Openo
Jürgen EHRE
Artiste plasticien/Künstler
Né à Kassel, Allemagne, en
1941
Études de décoration, arts
graphiques, décor scénique.
Depuis 1963 réside à Paris
1963-1967 études à l'Ecole
Nationale Supérieure des BEAUX-ARTS, Paris :
Peinture, Lithographie, Gravure
Atelier : Profs. Jean E. Bersier, Lucien Couteaud,
Eugène Clairin, Georges Dayez.
Malerei, Steindruck, Kupferstich
Réalise de nombreuses
expositions en Europe, participations en Angleterre, USA, Asie.
Collections Achats :
Musée d’art Moderne de la
Ville de Paris : 1970/1986
Bibliothèque Nationale de
Paris, Cabinet des Estampes : 1970
F.N.A.C Ministère des Affaire
culturelles, Paris : 1972
Musée d’Ixelles, Bruxelles,
Belgique : 1972
California College of Arts
and Crafts : 1972
Ville de Paris : 1977
Collections privées en
France, Suisse, Allemagne, USA, Israël, Japon, Danemark, Hollande, Italie
L'artiste, dans son oeuvre au
cours de son travail, est passé par différentes périodes.
La Période NOIRE :
La première, allant de 1963 à
1980, nous montre dans ses débuts des formes ou entités abstraites se
transformant lentement pour apparaître, projetées, sur un écran noir, la toile,
servant de fond d'analyse aux corps en état de "gestation" afin de
les cristalliser comme radiographiées.
Un monde inquiétant de formes
humaines et animaliers dans un univers symbolique où, confronté au miroir du
temps, elles témoignent de leur existence par une représentation lumineuse,
transparente, presque irréelle qui interroge !
Compositions et formes
abstraites légèrement transparentes en blanc sur écran noir qui constitue la
toile, telle une radiographie.
Evolution de ces formes
abstraites donnant naissance aux formes d’êtres, corps humains et animaliers.
La Période BLANCHE :
À partir de 1980, se
chevauchant jusqu'à 2000, la clarté surgit.
Les éléments se transforment,
prennent un autre aspect comme immortalisés à jamais, rayonnant de souvenirs,
d'images et de concepts dont la pureté et la blancheur est inspirée de Palerme.
Ville sombre et magique, majestueuse d'impressions étranges chargées de
mystères et de profondes réminiscences, pénétrées de dévotion et de violence
dont l'artiste, au cours de ses voyages, s'est imprégné en relevant le défi de
s'en laisser porter et s'inspirer pour son travail.
Travail sur blanc exclusif,
utilisant des matériaux divers accumulés : peinture sur tissu blanc et
collage d’objets tels le bois, fers, verre et cendres, miroirs, roses séchées,
masque à gaz, plumes, donnant l’impression d’un linceul de réminiscences.
La Période ROUGE :
À partir de 2000 jusqu'à
2008, s'opère un changement, ou plutôt une évolution.
Le Blanc cède sa place au
Rouge !
Rouge comme le sang, lourd de
signification, rouge comme le coeur, pulsion de vie qui projette l'artiste dans
des concepts ambigus et l'y attache littéralement, pris en piège dans son
univers.
Travail indéfiniment intime,
il est l'écho de son inspiration première.
Travail en prépondérance sur
fond de couleur rouge. Fond de prédilection où s’y rapportent tous les
objets ayant une connotation symbolique suggérant la couleur rouge comme le
rouge d’une blessure, sang de la blessure sur le thème du cœur palpitant de
l’homme, la vie …
L'autoportrait "fait à
son image" qui commence, déjà, à se refléter dans des jeux de miroirs et
d'éclats de verre qui deviennent visibles, dévoilant d'autres facettes,
d'autres mondes, ne laissant aucun doute sur l'apparition d'une dernière
période dans sa vie, où parmi toutes les périodes confondues les tons vont
reprendre vie ensemble :
Le NOIR, Le BLANC, Le ROUGE
et L'OR, projetés, animés, ancrés et immortalisés dans le temps qui leur reste
pour se manifester.
La période
« OR »
Les fils
conducteurs étaient déjà présents dans les toiles « aux fonds noirs »
faisant vibrer et amplifier les images. Depuis, ces fils dorés (peints encore)
se sont matérialisés… prendre vie sur la toile en illuminant le fond doré qui
désormais émerge des ténèbres, métallique et lumineux … Les éléments ont trouvé
leur place sur la nouvelle scène ludique et luxurieuse où la vie se cache
derrière le masque théâtral de la mort raillant l’apparition prophétique du
dérisoire, contenu dans ce souffle haletant, crépitant et frémissant sous forme
de nouveaux « conducteurs » ; Les acteurs apparaissent pour la
dernière pièce à jouer. Les costumes, robes, animaux, masques, tissus et
osselets, dictent leur loi, ils sont de retour se jetant avec avidité dans le
rôle donné.
Celui de
faire vivre différemment, de le rendre plastique, plus présent. Par ci, par-là,
des cris se manifestent en couleurs, sourdes ou riches, phares dans la nuit
aveugle… le rouge est toujours le sang, et les battements du cœur. Le jaune
incarne l’esprit… chacune trouve sa signification… Le derme devance le toucher,
la plume tressaille de vie renaissante spontanément, les miroirs brisés
reflètent le passé, et l’or amène le futur à travers des végétaux stylisés. Les
murmures retiennent leur voix pour s’unir en chœur…
Le
rideau se lève sur le théâtre de la peinture, une vie soumise au rythme des
contrastes s’enrichissant de multiples couleurs absentes, dont seule
l’intensité compte.
L’or est
le reflet de ce métal où sont gravées les images intransigeantes qui
surgissent, afin de se jeter en avant de la scène, allumant la flamme qui se consume dans sa
lumière… sur l’espace inexploré de la tragédie à la farce… comme un tambour à
moitié ivre bat la caisse à la tête du cortège… tantôt dépouillé à l’extrême,
tantôt gorgé de signes qui fondent sous un même souffle le grotesque et le
sublime… le terrible et le bouffon, dans le langage théâtral…
Entre le
« macabre » et le baroque, la jubilation de la métaphore, les bases
d’un théâtre fantastique sont jetées… à
moins que le rideau ne tombe et le métal se répande alors seul… à s’étaler
majestueusement, mystérieusement, transportant des vagues de réminiscences
entre le rêve et la veille… en s’illuminant d’or !
Paris, le 23 juillet 2009, Jürgen EHRE